Hrvatska! Hrvatska!
Par Apetitspas, mercredi 23 juillet 2008 à 11:07 :: Croatie
Gradaç, modeste port dalmatien, se transforme brièvement en station balnéaire croate, le temps d'une saison. Monika et Ricardo, frère et soeur, nous accueillent chez eux. L'envie d'apprendre des autres et de partager leur expérience émane d'eux et instaure immédiatement un climat agréable. Ex voyageurs revenus au bercail après plusieurs années, ils éprouvent le besoin de s'évader au travers des récits des gens. "Accueillir un voyageur, c'est partir tout en restant chez soi". Au début des années 90, des guerres d'indépendances éclatent en Yougoslavie. Beaucoup de Yougoslaves partent pendant celles-ci et les années qui les suivent. A la recherche d'asile, et à la découverte du monde, tous fuient violence, misère et corruption. Ricardo, après un an de service rendu dans l'armée s'exile en Italie. Il y reste une dizaine d'années. Depuis quelques temps, beaucoup reviennent au pays. La situation s'arrange, les choses changent. "Ma génération est foutue, détruite par la guerre", déplore Ricardo. Alcool, drogue, misère et solitude font des ravages chez les vétérans. Ceux qui réussissent à éviter ce schéma, à l'image de Ricardo, ont perdu la force, le courage de se battre pour un monde meilleur, laissant les autres décider pour eux. "La génération qui arrive possède cette énergie, cette envie de changer les choses." Un mois avant notre arrivée, éclatait la deuxième grève depuis l'indépendance, il y a 17 ans. Elle fut menée par des étudiants. L'espoir refait surface.
L'Euro 2008 approche. Des damiers rouges et blancs fleurissent dans les rues, le village s'habille aux couleurs de son équipe. Tout le monde s'impatiente. La Croatie joue ce soir. Des détonations retentissent aux quatre coins du bourg, une fumée orange s'échappe de sous la toile d'une terrasse couverte, une clameur énergique se déploie ci et là. Pétards, fumigènes, chants de supporters animent le village et donnent le rythme des festivités, quelques heures avant le début du match. Le coup d'envoi n'est pas donné que déjà bière et vin coupé d'eau (breuvage très répandu dans cette région) coulent abondamment. Peu importe le football, nous explique Monika, ce que veulent les gens c'est s'amuser et gagner afin de fêter la victoire. L'agitation monte d'un cran au commencement du match et atteint son paroxysme lorsque la Croatie ouvre la marque. Les yeux de l'assistance rivés sur le petit écran cherchent au travers d'une épaisse et suffocante fumée orange le petit point blanc qui porte l'espoir d'une nation. Le résultat est sans appel à l'écoute des cris et pétarades qui font siffler nos fragiles tympans : les Croates ont vaincu. Les noctambules laissent éclater leur joie et s'adonnent à une débauche méticuleuse jusqu'aux premières heures du matin.
Une stricte gueule de bois saisit le village au réveil ce qui n'efface pas les sourires qu'arborent tant bien que mal les visages épuisés des passants. Nous partons aujourd'hui en randonnée. Ricardo converti en guide nous emmène a la conquête des hauteurs qui entourent Gradaç . Le soleil est au rendez vous, la marche est agréable. Nous nous essayons à la spéléologie et explorons deux grottes, armés de cordes et de lampes à pétrole. L'accès y est difficile mais le spectacle est saisissant. La flamme de nos lampes s'accroche hardiment à la mèche imbibée qui la nourrit et fournit une lumière suffisante. Hésitant au gré des renflements de la caverne, elle brave stalagmites et stalactites et pénètre courageusement les ténèbres, vacille parfois mais diffuse gentiment un halo chaleureux procurant à l'ensemble une mysticité prenante. Nous restons quelques temps à discuter dans la fraîcheur de ses infractuosités. Rassasiés de grands espaces, nous prenons la route du retour traversant d'anciens hameaux à l'abandon. Ricardo profite de cet exemple pour nous montrer que les gens ont délaissé la montagne depuis l'explosion du tourisme au profit des plages. Il travaille sur un projet de tourisme différent orienté vers la montagne et la nature dans lequel l'olivier occupe une place capitale. Une exploitation à l'agonie qui voit sa réhabilitation arriver, la population prend conscience de la culture et des richesses que véhicule cet arbre. Les jours passent et nous ramènent à la réalité. Nous devons poursuivre notre route. La pluie fait son apparition le jour de notre départ. L'émotion fait son entrée plus vivace que jamais. A bientôt Gradaç!
De longues averses, d'intenses orages rythment nos journées depuis notre départ de Gradaç. Face à ce temps colérique notre mince toile de tente n'est pas de taille. Fatiguée par d'innombrables montages et démontages, détendue de toute part, ayant connu les baisers perforants des braises et subit les assauts répétés du vent elle déploie ses dernières forces dans une bataille inégale. Le dévouement de notre protectrice est touchant mais la tempête a raison d'elle. L'eau s'infiltre fourbement et nous surprend dans notre sommeil. Les maigres rayons solaires du matin peinent à sécher nos vêtements, les nuages ne tardant pas à réapparaître. Nous faisons route malgré tout et traversons l'île de Pag. Un vent violent a l'habitude d'assaillir la face est de l'île. Dépourvue de toute végétation, la roche à nue prend des allures de désert et rappelle la Tunisie. Un couple d'Allemands retraités patrouille les Balkans dans son camion militaire aménagé. Accueillis à leur bord le temps de quelques kilomètres nous progressons rapidement vers l'Istrie, région septentrionale de la Croatie.
Une jeune femme aux cheveux bruns éclatants et à la mine enjouée nous fait de grands signes alors que nous traversons la place principale de Pazin, petite ville du centre de l'Istrie. Voici Jana. Nous avions pris contact avec elle et Toni, son mari, via un site internet rassemblant des gens désireux de donner l'hospitalité à des voyageurs. Nous resterons quelques jours chez eux. Leurs deux enfants, Jakov et Jan ayant respectivement trois et sept ans, pleins de vie animent l'appartement de nos hôtes. Une famille de voyageurs qui va s'occuper de nous avec une attention particulière. Toni, amateur de punk des années 70, journaliste, travaille pour le journal local. Jana, architecte, prépare leurs vacances prochaines : en France. Nous assistons une nouvelle fois a l'ambiance enfiévrée d'un soir de match, malheureusement, la Croatie est éliminée. La déception emplit les rues, elle est pesante. La défaite semble oubliée des le lendemain. En effet, une fête du village est organisée. Nous nous rendons sur le lieu des festivités en cette belle matinée d'été. Une rivière d'eau claire traverse la clairière dans laquelle nous venons de pénétrer. Nous sommes sur les bords d'une petite falaise. L'eau se jette du haut de celle ci pour retomber dans un bouillonnement énergique au milieu d'un grand bassin de roche de plusieurs mètres de profondeur. Le soleil ayant repris du poil de la bête depuis quelques jours, lance ses rayons sur la cascade, haute de sept mètres, qui scintille joyeusement. Une tyrolienne est installée, des enfants s'élancent dans le vide en criant avant de retomber bruyamment dans des gerbes d'éclaboussures qui brillent à l'éclat du soleil.
Un tournoi de water polo est organisé. Toni nous rejoint pour former une équipe. Nous sommes prêt à représenter fièrement notre pays. Ce tournoi annuel accueille pour la première fois une rencontre internationale. Connus dans tout le village en tant que "Françuzi!" les habitants sourient à notre vue.
Le match commence. Le commentateur au micro entonne la Marseillaise dès que nous marquons un but, les enfants assis sur les bords de cette arène naturelle chantent l'hymne des supporters croates. Manquant d'entraînement, nous nous faisons battre à plates coutures, peinons a finir nos matchs, au bord de la noyade. Nous récupérons en regardant un concours de plongeons loufoques. Des concerts concluent cette épuisante journée. Toni, survolté, vibre au son d'un vieux groupe croate. Il n'oublie cependant pas de prendre des photos pour son journal dans lequel parait Armand, en tenue de supporter croate, interrogé sur sa vision de l'Euro en Croatie. Aux petits soins de nos hôtes pendant ces jours, nous profitons de chaque instant passé avec eux. Ainsi finissent nos aventures croates...
Il est cinq heures du matin, peu réveillés nous faisons nos adieux a cette petite famille, leur souhaitons de bons moments en France. Nous nous dirigeons vers la gare de bus afin de partir pour l'Italie. Nous embarquons, le bus est bondé. Exténués, nous nous endormons dans l'allée centrale, installés tant bien que mal, laissant nos pensées errer au gré de souvenirs croates avant d'aborder le dernier pays de notre épopée.